La présentatrice d’Al Jazeera sourit, ravie du sketch envoyé sur les réseaux sociaux. Un manifestant épuisé monte les escaliers de son immeuble, bandana aux couleurs libanaises à la main. Sa femme l’attend sur le palier et lui demande : « Sais-tu qui est le nouveau premier ministre ? » Il répond par la négative. « Safady » lui dit-elle. Il tourne les talons, ajuste le bandana sur la tête et se précipite vers la rue, noir de monde.

La classe politique locale est sur la sellette depuis le 17 octobre. D’abord Hariri et les partis au gouvernement, les nouveaux prétendants et maintenant Aoun, le président général.

« Le moment est-il venu pour Aoun ? » s’interrogeait un quotidien. L’humour répond, à la suite des dernières manifestations aux approches du palais présidentiel. Les manifestants y ont laissé des tracts, accrochés aux barbelés des barrages routiers. Aoun y est caricaturé et légendé par Papa Toz (on traduira poliment par Ferme là). N’avait-il pas proposé aux Libanais mécontents d’émigrer ? « Il parle du Liban comme de son village », persifle un manifestant.

 « On ne veut plus baiser la main de personne », dit un passant lors d’un micro-trottoir. Une porte-parole s’en fait également l’écho à la télé « si, nous en sommes là aujourd’hui, nous ne pouvons plus reculer. Il faut regarder le futur maintenant ». Elle n’en précisera pas les contours. Mais, d’une certaine façon, ce futur est déjà là.

Le président Aoun, radotait pour trouver les qualificatifs du nouveau gouvernement auquel il aspirait. Il exprimait les vœux pieux d’une classe politique libanaise aux abois avec leurs sponsors tutélaires : Elizabeth Richard, ambassadrice américaine, Christophe Fernand, diligenté par le quai d’Orsay et Jan Kubris, coordinateur spécial de l’ONU. Sans oublier le Hezbollah qui, n’en mène pas large, avec l’Iran et ses manifestations. Sans parler des dirigeants économiques plus discrets, mais néanmoins à la manœuvre.

Exit le gouvernement technocratique ou techno politique ! Le candidat Premier ministre Mohamad al-Safadi disparaît des écrans en moins de 24 heures !

Les rats quittent – ils le navire ? Comment interpréter ces démissions, par-ci par-là, de responsables politiques ou municipaux ? Préparent-ils leur recyclage ?

« L’absence continue exécutive et législative » ne trouve pas de réponse. Le vivier officiel n’est plus de mise chez les manifestants. 

Des personnes hors du sérail politique, n’ayant pas trempé dans les mille et une magouille et la corruption dominante voilà leurs souhaits. Mais où les trouver ? Sinon, en leur sein. Mais tel ne semble pas encore leurs desseins.

Le centre des décisions glisse lentement mais sûrement, des mains de la smala politique habituelle, vers les tentes installées au centre-ville de Beyrouth et un peu partout dans le pays. Sous les abris en toile, réunions et discussions se succèdent. Elles abordent les sujets de l’heure et les problèmes sociétaux sans détour et sans censure. Ces lieux de démocratie et d’échange narguent les prétentions du fils Hariri, ex Premier ministre et depuis peu, considéré comme l’homme providence, par la grâce de ses pairs.

Samedi, des scènes de libération sous acclamations. Les manifestants aux mains des autorités, dont l’un, sévèrement battu, sont relâchés par la vertu des sit-in devant les tribunaux et les commissariats.

Dimanche, un bus de la révolution roule du ‘Akkar au nord à Saïda au sud, symbole d’un pays qui se veut uni autour des mêmes revendications. Manifestations et blocages de routes continuent un peu partout ainsi que la grève des écoles, des universités, des hôpitaux et des banques.

Lundi, l’homonyme du chef de l’État, le général Joseph Aoun, chauve du chef et en tenue kaki, prend la parole à la télé. Le commandant de l’armée explique « paternellement » que l’armée est là pour dégager les routes afin de garantir la libre circulation des biens et des personnes et la sûreté des manifestants. Il n’évoquera pas les arrestations et les bastonnades de ses troupes. Il ne tolére pas, dit-il les voyous qui perturbent les manifestants et commettent des actes de vandalisme. La veille une délégation d’importateurs de médicaments lui a fait part des difficultés du secteur.

Mardi, les manifestants bloquent les accès au Parlement. Les députés voudraient voter une loi d’amnistie pour les crimes économiques (corruption, etc.). Le parlement est protégé par des cordons de policier en kaki bleuté. Des manifestantes sourient et empêchent les provocations. Plus loin, sous des arcades, des policiers ont déposé leurs boucliers en plexiglas. Ils sont affalés contre un mur et prennent un bain de soleil automnal. L’atmosphère est détendue. Un rapport de force est né. Dire qu’ici même, il y a un peu plus de quarante ans, les mères ou grands-mères des manifestantes suppliaient les députés d’alors d’arrêter la guerre civile qui débutait. Elles ne recevaient que regards méprisants et promesses trahies. Le cinéma Rivoli à quelques centaines de mètres affichait alors le très prémonitoire film Quand l’amour s’envole, le mariage échoue.

Semaine après semaine, la dualité des pouvoirs se renforce, mais s’agit-il, comme dit un journaliste, de « trouver une nouvelle race de leaders » ? Si tel est le cas, qui seront-elles ou ils ? Quelle organisation donnera à ce mouvement son aile marchante et ses orientations ? Quelle sera la réaction des autorités et des puissances tutélaires ? Les semaines à venir devraient y répondre.

Michael Maschek
Michael Maschek se consacre à la formation et au conseil en management de projet. Il pratique avec passion la photo et sa version aérienne au drone. Auteur en 2018 de Myrtom House Building. Un quartier de Beyrouth en guerre civile chez L’Harmattan, il y découvre la chape de plomb posée sur l’historiographie libanaise par l’amnistie accordée en fin de guerre civile, au travers d’une expérience personnelle. Le 17 octobre 2019, le début des manifestations marque la fin de cette période. Il en devient alors, lui-même, à distance, un chroniqueur passionné.

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