J’ai grandi dans un des quartiers de Ras Beyrouth, entourée des familles Haddad, Naufal, Majdalani, Khoury, Osta, Araman, Aboukhaled, Chehadé, Rebeiz, Bekhaazi, Dani, entre la rue de Rome et la rue Maamari, un quartier qui autrefois rassemblait les ambassades de France et d’Italie, les hôpitaux AUH, Bekhaazi et Alexandre Khoury ainsi que l’église Wardiyeh.

L’épicier du coin Assaad Marrouche faisait parti de cette grande famille!
Enfants, on avait le droit d’acheter nos tablettes de chocolats tout seul, sans sortir l’argent de notre poche, il se contentait d’inscrire sur son cahier: Haddad, (Nicole) 75 piastres Fingers, mon chocolat préféré à l’époque! Et mes parents s’occupaient de payer la facture à la fin du mois.
La confiance régnait. Tout le monde connaissait tout le monde. 
Tout le monde respectait tout le monde.

Ce quartier purement résidentiel à l’époque, se transforma dans les années 70 en un quartier commercial aussi: on l’avait baptisé, Bloc Clemenceau, à cause des nombreux magasins qui ont ouvert leurs portes entre deux rues et deux blocs d’immeubles: «Tops, Dolly Boutique, Bijouterie Haddad et Pavane »,  d’un coté, « Bleu-Marine, La belle Antique, Camomille, L’artisan du Liban, Rive Droite Rive gauche, Cerruti, Granita, Les must de Cartier de l’autre… »

Mais nous avons continué à vivre en famille avec les Bakkar, Dabbous, Nsouli et autres…qui tenaient les magasins du quartier…
Une complicité amicale nous liait les uns aux autres.

La guerre éclata en 1975. On se serra les coudes entre voisins.
Le pain était partagé, l’eau aussi…La solidarité était de mise.
Mais lorsque la guerre atteignit Kantari et May Ziadeh, les familles présentes prirent peur et quittèrent la région en attendant des jours meilleurs.
Ceux qui restèrent sur place, protégèrent les appartements des autres, contre le vol ou l’occupation.
En 1985, ma tante, Henriette Haddad fût enlevée. Aucun groupe n’a jamais revendiqué l’enlèvement, ni demandé de rançons, ni annoncé l’exécution de l’otage! 
Ce jour là et graduellement, mon quartier changea de visage. 
Mon Beyrouth à moi, n’était plus le même!
De nouvelles familles s’installèrent dans les appartements vides du quartier.
Les magasins changèrent de mains…
Plus rien n’était comme avant! L’esprit même du quartier n’existait plus! 
Mon Beyrouth n’existait plus!

J’ai quitté la maison paternelle et émigré, mais à chacune de mes visites au Liban, je reviens dans ce quartier qui m’a vu naître et grandir, ce quartier où vit encore ma mère, ce quartier qui vient me chercher malgré tout, en souvenirs de tous ceux que j’ai connus, côtoyés et aimés et qui n’y sont plus!

J’aurai tellement aimé aller faire un petit saut ce soir, dans ce quartier que je n’ai jamais quitté, mais qui se trouve si loin de moi.

Préservez la mémoire de votre quartier, par amour pour ceux qui y ont vécu.

Nicole Abdul-Massih
Nicole Abdul-Massih est originaire de Beyrouth et vit à Montréal. Écrivaine en herbe, profondément engagée avec Fondation LCF à soutenir les enfants à besoins spécifiques au Liban et à promouvoir la culture libanaise à Montréal

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