Jean-Éric Branaa, Auteurs fondateurs The Conversation France

À 17h à Washington et 23h à Paris, mardi 24 septembre 2019, Nancy Pelosi, la présidente de la Chambre des représentants, est venue faire une courte déclaration.

Elle a expliqué que le président des États-Unis, soupçonné d’avoir demandé au président ukrainien d’enquêter sur son rival politique Joe Biden, n’avait pas respecté pas la Constitution et a ajouté qu’une enquête était lancée contre Donald Trump.

Tout cela peut-il conduire à un impeachment ?

Un impeachment, qu’est-ce que c’est ?

La procédure de mise en accusation, ou « impeachment », du Président ou d’un autre officiel est prévue dans la Constitution américaine et comporte deux étapes : la Chambre des représentants doit d’abord voter pour l’impeachment, à la majorité simple, et un procès est ensuite organisé devant le Sénat.

La Chambre prend sa décision après une enquête, qui débouche sur un débat, puis il y a un vote auquel participent tous les membres de cette assemblée.

Quant à l’étape du Sénat, il s’agit bien d’un véritable procès, avec un jury composé de 100 sénateurs, un procureur composé de membres de la Chambre des représentants et un accusé qui se fait assister par l’avocat de son choix.

Ce procès est présidé par le vice-président des États-Unis, ou par le président de la Cour suprême si la procédure concerne le président des États-Unis.

Pour condamner le président et obtenir sa destitution, il faut que les deux tiers du Sénat se prononcent contre l’accusé.

Le cas Johnson

La Constitution prévoit trois crimes : la trahison, la corruption ou « d’autres crimes et délits ». Le problème est que ces « autres crimes et délits » ne sont pas définis et que toute interprétation devient donc possible. Il appartient à la Chambre des représentants de décider à chaque fois si une infraction justifie une mise en accusation.

C’est pourquoi on dit souvent que l’impeachment n’est pas uniquement une action légale, mais aussi une vraie arme politique.

À ce jour, les décisions ont toujours été mesurées et la définition couramment admise comprend les crimes de droit commun, l’abus de pouvoir et la violation de la confiance publique au sens le plus large.

Le président Andrew Johnson a été le premier visé par une procédure de destitution. NPCA Photos, CC BY-SA

Le Président Johnson en a fait les frais en 1868. Il a été le premier visé par un impeachment.

Johnson avait accédé au pouvoir dans les pires conditions, après l’assassinat d’Abraham Lincoln. Le Parti républicain s’était alors engagé en faveur de la reconnaissance des droits civiques pour les anciens esclaves, alors que l’esclavage venait tout juste d’être aboli par le 13ᵉ amendement.

Johnson était un homme de dialogue et souhaitait tendre la main aux États du Sud, en évitant toute humiliation. Pour les sudistes, cela comprenait bien entendu l’abandon de cette loi sur les droits civiques, dans un but de pacification nationale.

Mais le Congrès a adopté le 14ᵉ amendement, qui a donné aux noirs des droits élémentaires dans une démocratie en les mettant à égalité avec les autres citoyens, mais contre l’avis du Président.

Le climat est alors devenu électrique : lorsqu’Andrew Johnson a limogé son secrétaire à la Guerre, cette décision a suffi pour lancer une procédure d’impeachment.

Au total, la Chambre des représentants a trouvé 11 chefs d’inculpation et la mise en accusation a été votée, ouvrant la voie à la deuxième étape, celle du procès devant le Sénat. Heureusement pour lui, Andrew Johnson a été acquitté. Mais il est passé à deux doigts de la destitution, car son acquittement a été obtenu… à une voix près !

Le Watergate et l’affaire Lewinsky

Depuis cette affaire, la procédure de l’impeachment n’a été déclenchée qu’à deux reprises contre un président des États-Unis.

Le deuxième cas touchant un locataire de la Maison Blanche remonte à 1974, dans le si célèbre épisode du Watergate. La Chambre des représentants avait ouvert une enquête et retenu trois chefs d’accusation contre le président, après le scandale en 1972 du cambriolage des locaux du parti démocrate dans l’immeuble du Watergate à Washington.

On a reproché au président des financements irréguliers de campagne, un abus de pouvoir ou l’obstruction évidente à la justice. Mais Nixon a préféré démissionner, ce qui a stoppé la procédure.

En 1970, Gerald Ford, qui était alors député, a proposé une nouvelle définition des crimes pouvant conduire à un impeachment par « n’importe quelle action que la majorité de la Chambre des représentants considère comme grave », consacrant ainsi le caractère politique de cette action.

Intervient ensuite l’affaire Lewinsky, qui a concerné Bill Clinton en 1999.

La présidence Clinton avait été entachée par l’affaire Lewinsky. evan.guest, CC BY

Aucune tentative de faire pression sur qui que ce soit n’est à déplorer ici, ni même un abus de pouvoir : un procureur indépendant, Kenneth Starr, avait été nommé pour enquêter sur une affaire immobilière douteuse remontant au temps où il était gouverneur de l’Arkansas.

Au fil de son enquête, ce procureur a fini par mettre en évidence une relation extra-conjugale du président avec une stagiaire de la Maison Blanche. Bill Clinton a choisi de nier les faits devant le procureur indépendant, ce qui revient à un parjure en justice.

À la fin de l’année 1998, la mise en accusation du président a été votée et comprenait deux chefs d’inculpation : le parjure devant le grand jury et l’obstruction à la justice. Le procès au Sénat s’est ouvert et a débouché sur un acquittement de Bill Clinton en janvier 1999 car la majorité des deux tiers n’a pas été atteinte.

Les républicains comme meilleur rempart de Trump

Les révélations qui se succèdent sans cesse et qui touchent le président des États-Unis depuis son élection sont certainement de nature à lui porter un véritable coup, notamment sur la question de son professionnalisme et du respect des intérêts de son pays.

La dernière affaire liée au président ukrainien est clairement l’une des plus sérieuses.

L’éventualité de conséquences plus lourdes sur un plan judiciaire reste néanmoins incertaine, même si l’acte d’accusation peut porter en réalité sur n’importe quel sujet et que les démocrates ne manquent pas, justement, de sujets en ce qui le concerne.

De manière générale, on a fini par comprendre que Donald Trump agit plus vite qu’il ne pense et cette impulsivité le décrédibilise. Sa naïveté à croire qu’il peut agir comme bon lui semble est déconcertante.

Mais de là à imaginer que les rebondissements successifs, fussent-ils très nombreux, pourraient aboutir, à terme, à une destitution, comme certains semblent l’envisager, n’est pas raisonnable et on s’engage sur la voie de la pure spéculation : Donald Trump ne sera certainement pas destitué et ne fera peut-être même pas l’objet d’un impeachment, parce que les républicains sont son meilleur rempart.

Aujourd’hui, Donald Trump n’est pas que leur président, il est leur « champion ».

Les adversaires de Trump savent bien que sa base électorale est plus solide que du béton et c’est bien cela leur problème : la côte générale de Trump n’a ainsi quasiment pas bougé pas depuis le 8 novembre 2016 et on a même relevé une remontée ces derniers jours alors qu’il atteint désormais 45 % de satisfaits.

Surtout, sa cote d’amour reste incroyablement élevée auprès des électeurs républicains, environ 85 %, et elle est phénoménale auprès de ceux qui ont voté pour lui : 93 % réitéreraient le même vote aujourd’hui qu’aux précédentes élections.

La base républicaine reste le meilleur soutien de Trump. Gage Skidmore, CC BY-SA

Aucun élu républicain ne bougera donc le petit doigt avec de tels chiffres. Ce serait suicidaire politiquement. Quand on ajoute à ce tableau la perspective des élections législatives et sénatoriales de 2020, dont la campagne s’est déjà engagée en même temps que celle des présidentielles, on comprend que les élus préfèrent se faire très discrets.

Donald Trump va donc attaquer à son tour, comme il l’a fait moins de deux minutes après l’annonce de Nancy Pelosi, en expliquant qu’il est la victime d’une chasse aux sorcières indigne et que les démocrates passent plus de temps à essayer de lui trouver des poux dans la tête plutôt que de travailler pour le bien des Américains, en proposant et en votant de nouvelles lois sur les armes, les infrastructures ou pour réformer le système de santé.

De tels arguments n’ont aucune chance d’émouvoir les militants ou les sympathisants démocrates, qui ne rêvaient que de ce moment depuis le 8 novembre 2016 ; en revanche, il n’est pas certain que les arguments de Trump ne fassent pas mouche auprès des indépendants, qui montraient déjà leur intérêt pour la campagne en cours et vont être déçus que l’actualité se concentre désormais sur les ennuis de Donald Trump et ses péripéties avec le Congrès.

C’est un drôle de pari politique que viennent de faire les démocrates, car personne ne sait qui va sortir gagnant d’un tel bras de fer.The Conversation

Jean-Éric Branaa, Maître de conférences politique et société américaines (Paris 2 Panthéon-Assas), Auteurs fondateurs The Conversation France

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